Un déménagement qui interroge. Le dépôt des archives de la Ville de Troyes aux Archives départementales de l’Aube

Le ministère de la Culture a récemment annoncé le dépôt des archives municipales de Troyes et des archives de Troyes Champagne Métropole aux Archives départementales de l’Aube, dans le cadre des dispositions prévues par le Code du patrimoine. Cette situation, inédite à cette échelle, soulève des questions sur la responsabilité et l’investissement des collectivités envers leur patrimoine archivistique.

vendredi 23 avril 2021
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L’objec­tif est certes de remé­dier aux mau­vai­ses condi­tions de conser­va­tion de ces archi­ves, très riches et ancien­nes, qui étaient jusqu’à pré­sent répar­ties dans des locaux ina­dap­tés à tra­vers la cité, situa­tion dégra­dée dont la ville a pris acte et qu’elle a décidé d’amé­lio­rer par ce biais. La volonté de pré­ser­ver dans de bonnes condi­tions les archi­ves peut être reconnue, et il y a lieu de saluer l’impor­tant tra­vail de pré­pa­ra­tion qui va être engagé à l’occa­sion de cette opé­ra­tion. Cela dit, le choix du dépôt sur­prend pour une col­lec­ti­vité de la taille et de l’impor­tance de la ville de Troyes : rap­pe­lons qu’il s’agit d’une ville pré­fec­ture de dépar­te­ment, centre d’une Métropole de plus de 138.000 habi­tants, et que cette com­mune est label­li­sée Ville d’art et d’his­toire.

La solu­tion rete­nue est en effet, à bien des égards, tout à fait aty­pi­que. Si elle permet d’amé­lio­rer signi­fi­ca­ti­ve­ment, dans un contexte local bien par­ti­cu­lier et au prix d’un inves­tis­se­ment impor­tant mais ponc­tuel, la conser­va­tion et la mise en valeur d’un patri­moine remar­qua­ble, l’Association des archi­vis­tes fran­çais s’en réjouit. Néanmoins, nous rele­vons plu­sieurs points préoc­cu­pants.

Selon le Code du patri­moine [art. L.212-6 L.212-6-1], « les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­ria­les et les grou­pe­ments de col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­ria­les sont pro­prié­tai­res de leurs archi­ves et sont res­pon­sa­bles de leur conser­va­tion et de leur mise en valeur. » Le dépôt, prévu également au Code du patri­moine, est sur­tout pra­ti­qué par les peti­tes col­lec­ti­vi­tés qui ne peu­vent gérer direc­te­ment leurs archi­ves (il est même la règle en des­sous de 2000 habi­tants). Au-delà d’un cer­tain seuil, la mutua­li­sa­tion de la fonc­tion archi­ves, avec des res­pon­sa­bi­li­tés clai­res et par­ta­gées et une par­ti­ci­pa­tion finan­cière et maté­rielle équitablement répar­tie entre les par­te­nai­res, est le modèle le plus conforme au res­pect des obli­ga­tions de la com­mune envers ses archi­ves. Cette mutua­li­sa­tion permet de répar­tir des coûts élevés tout en garan­tis­sant l’inves­tis­se­ment et la res­pon­sa­bi­lité des col­lec­ti­vi­tés dans la ges­tion et la pré­ser­va­tion de leurs archi­ves.

Les com­mu­nes, comme les autres col­lec­ti­vi­tés loca­les, ne peu­vent envi­sa­ger la ges­tion de leurs archi­ves uni­que­ment sous le prisme du seul coût finan­cier. Les archi­ves sont d’une impor­tance pre­mière dans la ges­tion admi­nis­tra­tive et un atout cultu­rel de pre­mier ordre.

De plus, les Archives dépar­te­men­ta­les n’ont pas voca­tion à accueillir, par voie de dépôt, l’ensem­ble des fonds d’archi­ves des col­lec­ti­vi­tés loca­les de leur res­sort. Si les Archives dépar­te­men­ta­les de l’Aube sont en capa­cité de le faire, beau­coup de ser­vi­ces dépar­te­men­taux ont par ailleurs aujourd’hui des dif­fi­cultés à assu­rer l’ensem­ble de leur mis­sion de col­lecte, et cer­tains connais­sent des pro­blè­mes de satu­ra­tion de leurs espa­ces de conser­va­tion.

Il ne s’agit pas ici de remet­tre en cause le tra­vail accom­pli par les col­lè­gues des archi­ves muni­ci­pa­les et com­mu­nau­tai­res mais bien de rap­pe­ler l’impor­tance de la mis­sion d’un archi­viste. Sa pré­sence au sein de l’orga­ni­sa­tion contri­bue de manière essen­tielle à la valo­ri­sa­tion his­to­ri­que d’une ville, notam­ment quand celle-ci a la chance d’être riche­ment dotée dans un patri­moine bâti. Plus pro­fon­dé­ment, un pro­fes­sion­nel des archi­ves est là pour sou­te­nir, assu­rer et garan­tir les mis­sions des ser­vi­ces. Il a voca­tion à inter­ve­nir de plus en plus tôt dans la chaîne docu­men­taire pour déter­mi­ner les règles et durées de conser­va­tion des docu­ments d’acti­vité afin de garan­tir une conti­nuité de ser­vice en fonc­tion des contrain­tes de plus en plus nom­breu­ses qui se pré­sen­tent : com­plexité du pay­sage admi­nis­tra­tif, déploie­ment de l’admi­nis­tra­tion numé­ri­que, prise en compte des contrain­tes du RGPD, atten­tes du public en matière de mémoire et de recher­ches indi­vi­duel­les… Ces aspects des mis­sions d’un archi­viste, aussi essen­tiel­les que le ver­sant patri­mo­nial du métier, ne peu­vent être trai­tés par un dépôt, et ne doi­vent pas être négli­gés ni oubliés.

L’AAF est atten­tive à toute forme d’évolution des ser­vi­ces d’archi­ves des col­lec­ti­vi­tés et au main­tien d’un niveau élevé de pro­fes­sion­na­li­sa­tion, garant d’une bonne ges­tion des archi­ves. Le dépôt sans contre­par­tie, ou avec des contre­par­ties trop fai­bles, ne doit en aucun cas deve­nir la règle pour les gran­des col­lec­ti­vi­tés qui ont la capa­cité, mais aussi la voca­tion, à assu­rer ces mis­sions, véri­ta­ble atout pour les ter­ri­toi­res et leur popu­la­tion.

 Voir « Les Archives de Troyes et de Troyes Champagne Métropole regrou­pées au sein des Archives de l’Aube »
https://fran­cear­chi­ves.fr/fr/actua­lite/301140425 8 avril 2021 et https://twit­ter.com/FranceArchives/status/1380129798811344898?s=20


À propos de l’AAF
Fondée en 1904, l’Association des archi­vis­tes fran­çais regroupe aujourd’hui plus de 2 200 adhé­rents, man­da­tai­res ou béné­fi­ciai­res, pro­fes­sion­nels des archi­ves du sec­teur public comme du sec­teur privé.
Consciente du défi que repré­sente, dans le monde contem­po­rain, la maî­trise de la pro­duc­tion archi­vis­ti­que et de l’infor­ma­tion qu’elle ren­ferme, l’AAF se défi­nit comme un organe per­ma­nent de réflexions, de for­ma­tions et d’ini­tia­ti­ves mis au ser­vice des sour­ces de notre his­toire, celles d’hier comme celles de demain. L’asso­cia­tion entend en cela défen­dre les inté­rêts des pro­fes­sion­nels, pro­mou­voir le métier d’archi­viste et sen­si­bi­li­ser le grand public à l’impor­tance citoyenne des archi­ves en France mais également à tra­vers le monde.

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