La Gazette des archives n° 253 (2019-1)

Le goût de l’archive à l’ère numérique

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En 1989, Arlette Farge publie Le goût de l’archive. Elle y décrit ce que tout·e his­to­rien·ne a pu vivre : une rela­tion intime aux sour­ces pri­mai­res – que l’on s’appro­prie phy­si­que­ment et intel­lec­tuel­le­ment –, qui s’ins­crit dans un espace par­ti­cu­lier, la salle de lec­ture. Cette rela­tion intime condi­tionne pour partie l’inter­pré­ta­tion de nos sour­ces et le récit du passé que nous en tirons.
Aujourd’hui, la mise en don­nées des sour­ces pri­mai­res bou­le­verse cette rela­tion intime : nous consul­tons des corpus en ligne, et nos séjours en cen­tres d’archi­ves sont trans­for­més par de nou­veaux usages, à l’exem­ple de l’appa­reil photo.
Ce numéro de La Gazette des archi­ves est la pre­mière cap­ture d’un projet qui ques­tionne l’évolution de ce lien au docu­ment d’archi­ves. Archivistes et his­to­rien·­nes s’inter­ro­gent : à l’ère numé­ri­que, les archi­ves ont-elles tou­jours le même goût ?

Ce numéro a été conjoin­te­ment coor­donné par Frédéric Clavert, pro­fes­seur assis­tant en his­toire contem­po­raine (uni­ver­sité du Luxembourg), et Caroline Muller, maî­tresse de confé­ren­ces en his­toire contem­po­raine (uni­ver­sité Rennes 2).

SOMMAIRE

– Introduction, par Frédéric CLAVERT et Caroline MULLER

– La fabri­que de l’archive : le rituel de la col­lecte des archi­ves, par Céline GUYON

– La salle de lec­ture, hors du temps et de l’espace ?, par Julien BENEDETTI

– Le numé­ri­que : beau­coup de gestes pour un meilleur par­tage ?, par Dominique NAUD

– Les jeunes his­to­riens rêvent-ils d’archi­ves numé­ri­ques ?, par Sébastien POUBLANC

– De la source à l’image : y a-t-il une phi­lo­lo­gie numé­ri­que ?, par Julie GIOVACCHINI

– Faire de l’his­toire, un casque sur les oreilles : le goût de l’archive radio­pho­ni­que, par Céline LORIOU

– Le goût des pho­to­gra­phies ancien­nes en ligne : de la mise en bouche à l’indi­ges­tion, par Louis BALDASSERONI et Damien PETERMANN

– De la Wayback Machine à la biblio­thè­que : les dif­fé­ren­tes saveurs des archi­ves du Web, par Valérie SCHAFER

– Le goût de l’API, par Frédéric CLAVERT

– Les archi­ves au goût du jour ?, par Véronique SERVAT


RÉSUMÉS DES ARTICLES

– Introduction, par Frédéric CLAVERT et Caroline MULLER

– La fabri­que de l’archive : le rituel de la col­lecte des archi­ves, par Céline GUYON
Récit per­son­nel dans lequel l’auteur se livre à une forme d’intros­pec­tion des pra­ti­ques liées à la col­lecte des archi­ves. Cette appro­che sen­si­ble du geste de col­lec­ter est l’occa­sion pour l’auteur de s’inter­ro­ger sur le réper­toire des émotions que mobi­lise l’archi­viste, à l’occa­sion de cet acte fon­da­teur de la mise en Å“uvre du pro­ces­sus de patri­mo­nia­li­sa­tion des archi­ves.

– La salle de lec­ture, hors du temps et de l’espace ?, par Julien BENEDETTI
La numé­ri­sa­tion, par les cher­cheurs comme par les par­ti­cu­liers, bous­cule le rap­port à la salle de lec­ture. Ces nou­vel­les pra­ti­ques entraî­nent notam­ment une nou­velle rela­tion à l’espace et au temps. Par la cap­ta­tion qu’ils en font dans des fichiers numé­ri­ques, les lec­teurs font sortir les archi­ves de la salle. Ils étendent leur espace de tra­vail et d’ana­lyse des corpus. Le temps est lui réé­va­lué de façon contra­dic­toire. Le temps de pré­sence dans les cen­tres d’archi­ves se réduit là où celui de la consul­ta­tion des copies peut s’étendre à l’envi. L’arti­cle se pro­pose d’inter­ro­ger cette nou­velle rela­tion à la salle de lec­ture et à la consul­ta­tion des archi­ves, que cela soit par rap­port à la maté­ria­lité des docu­ments ou aux rôles des archi­vis­tes.

– Le numé­ri­que : beau­coup de gestes pour un meilleur par­tage ?, par Dominique NAUD
Toutes les dis­ci­pli­nes s’inté­res­sent actuel­le­ment au numé­ri­que. Pour ce qui concerne les his­to­riens et les archi­vis­tes, la ques­tion est de savoir si de nou­vel­les pers­pec­ti­ves de col­la­bo­ra­tion émergent grâce au numé­ri­que. Tout d’abord, la cons­ti­tu­tion même d’un maté­riau numé­ri­que, résul­tat de l’impli­ca­tion de ser­vi­ces d’archi­ves avec l’appui de leurs équipes inter­nes, de pres­ta­tai­res ou encore de béné­vo­les, a permis l’expé­ri­men­ta­tion par des his­to­riens de nou­veaux types d’exploi­ta­tion des archi­ves. Des tech­ni­ques de mar­quage et de repé­rage à l’inté­rieur des textes, d’abord des trans­crip­tions et désor­mais pou­vant s’exer­cer direc­te­ment sur des écritures ancien­nes et s’appuyant sur des lan­ga­ges for­mels comme l’XML se déve­lop­pent. La des­crip­tion des archi­ves qui doit être acces­si­ble par­tout et dans tous les sys­tè­mes néces­site également une cer­taine stan­dar­di­sa­tion, y com­pris sur un plan inter­na­tio­nal. Les don­nées elles-mêmes doi­vent être accom­pa­gnées d’éléments de des­crip­tion, les méta­don­nées. Tous ces gestes de créa­tion de docu­ments numé­ri­ques, d’inser­tion d’éléments de repère et de struc­tu­ra­tion sont pra­ti­qués par des indi­vi­dus ou ins­ti­tu­tions iso­lé­ment, mais peu­vent débou­cher également sur des aven­tu­res col­lec­ti­ves. Le déve­lop­pe­ment des expé­rien­ces par­ti­ci­pa­ti­ves comme les anno­ta­tions, trans­crip­tions ou l’indexa­tion fait appel au goût pour l’his­toire, à la recher­che de sens. C’est une autre manière d’aller à la ren­contre des usa­gers qui fré­quen­tent moins les salles de lec­ture. Tout cela ne s’impro­vise pas, cette com­mu­nauté doit être sou­te­nue et accom­pa­gnée. De même, le tra­vail consé­quent qu’il convient de mener sur les don­nées pour qu’elles ser­vent au plus grand nombre doit être reconnu. Ce préa­la­ble d’une indis­pen­sa­ble cons­ti­tu­tion de réser­voirs d’infor­ma­tions de qua­lité, bien iden­ti­fiées, échangeables faci­le­ment permet d’envi­sa­ger un meilleur par­tage des connais­san­ces sous forme, par exem­ple, de fruc­tueux par­te­na­riats entre les ins­ti­tu­tions cultu­rel­les et de tra­vaux inter­dis­ci­pli­nai­res sor­tant des cloi­son­ne­ments habi­tuels.

– Les jeunes his­to­riens rêvent-ils d’archi­ves numé­ri­ques ?, par Sébastien POUBLANC
Trente ans après la publi­ca­tion du livre d’Arlette Farge, que reste-t-il des pra­ti­ques et des usages ten­dre­ment décrits par l’his­to­rienne ? Depuis lors, le numé­ri­que est devenu chose cou­rante : les ser­vi­ces d’archi­ves sont passés au numé­ri­que, cer­tai­nes archi­ves sont nées direc­te­ment sous ce format et l’appa­reillage tech­ni­que des his­to­riens a suivi la tech­ni­ci­sa­tion de notre société. Pour autant, les his­to­riens actuels sont-ils deve­nus des his­to­riens « numé­ri­ques » ? De quelle manière la numé­ri­sa­tion de leurs usages et de leurs pra­ti­ques a-t-elle changé leur rap­port aux sour­ces ? S’il n’est pas pos­si­ble de répon­dre pré­ci­sé­ment à ces ques­tions, cet arti­cle pro­pose des éléments de répon­ses en se fon­dant sur l’expé­rience péda­go­gi­que des Tribulations his­to­rien­nes, projet d’écriture fai­sant raconter aux étudiants d’his­toire moderne et contem­po­raine leur quo­ti­dien en billets de blogs. La lec­ture de leurs billets permet de des­si­ner ainsi une géné­ra­tion par­ta­gée entre deux pra­ti­ques du métier d’his­to­rien : aux métho­des clas­si­ques de l’his­toire, ses mem­bres super­po­sent des pra­ti­ques numé­ri­ques ins­tinc­ti­ves, sans par­fois même s’en rendre compte. Les deux coha­bi­tent et don­nent à voir des étudiants hybri­des, aux pra­ti­ques scrip­tu­rai­res tout autant que numé­ri­ques.

– De la source à l’image : y a-t-il une phi­lo­lo­gie numé­ri­que ?, par Julie GIOVACCHINI
Cet arti­cle s’inté­resse à la place qu’occupe la numé­ri­sa­tion des images des sour­ces manus­cri­tes dans les pra­ti­ques phi­lo­lo­gi­ques actuel­les. Pourquoi la phi­lo­lo­gie clas­si­que est-elle une dis­ci­pline dont l’exer­cice néces­site un accès, quelle que soit la forme de cet accès, à de telles images ? Quels sont les gains liés à l’émergence de res­sour­ces numé­ri­ques pour l’édition des textes anti­ques ? Quelles sont les limi­tes inhé­ren­tes à ces sup­ports vir­tuels ? La révo­lu­tion numé­ri­que modi­fie pro­fon­dé­ment le monde de la phi­lo­lo­gie clas­si­que, et sou­lève des ques­tions nou­vel­les en ten­tant d’en résou­dre de très ancien­nes.

– Faire de l’his­toire, un casque sur les oreilles : le goût de l’archive radio­pho­ni­que, par Céline LORIOU
Cet arti­cle met en avant la dimen­sion sen­si­ble atta­chée à l’écoute d’archi­ves radio­pho­ni­ques, qui contri­bue à déve­lop­per chez l’his­to­rien ou l’his­to­rienne un réel goût pour ces docu­ments sono­res numé­ri­ques ou numé­ri­sés. Le tra­vail sur ces archi­ves audio­vi­suel­les est gran­de­ment faci­lité depuis l’ins­tau­ra­tion d’un dépôt légal sur l’audio­vi­suel en 1992, qui pré­voit la conser­va­tion et la consul­ta­tion de ces docu­ments à l’Inathèque. Cependant, ce tra­vail ne peut se faire sans l’inter­mé­diaire de logi­ciels spé­ci­fi­ques qui contri­buent à redes­si­ner les pra­ti­ques de recher­che des his­to­riens et his­to­rien­nes tout en main­te­nant le carac­tère indis­pen­sa­ble de la contex­tua­li­sa­tion à l’aide d’archi­ves écrites. L’arti­cle sou­li­gne également l’inté­rêt de ces sour­ces radio­pho­ni­ques pour étudier l’impli­ca­tion de la com­mu­nauté his­to­rienne dans la trans­mis­sion des savoirs his­to­ri­ques vers un public plus large.

– Le goût des pho­to­gra­phies ancien­nes en ligne : de la mise en bouche à l’indi­ges­tion, par Louis BALDASSERONI et Damien PETERMANN
Fruit des expé­rien­ces quo­ti­dien­nes de deux doc­to­rants dont les pho­to­gra­phies ne cons­ti­tuent pas les sour­ces prin­ci­pa­les, cet arti­cle vise à éclairer les enjeux de la mise en ligne crois­sante de pho­to­gra­phies ancien­nes numé­ri­sées pour la recher­che. Si cette amé­lio­ra­tion impor­tante de leur acces­si­bi­lité peut contri­buer à les rendre moins secondai­res pour les his­to­riens, les pro­blé­ma­ti­ques de dis­pa­rité des corpus et de ges­tion effi­cace des sour­ces per­sis­tent. Des ques­tions se posent également concer­nant la contex­tua­li­sa­tion, avec la qua­lité très varia­ble des méta­don­nées, et les pos­si­bi­li­tés effec­ti­ves de réu­ti­li­sa­tion de ces images.

– De la Wayback Machine à la biblio­thè­que : les dif­fé­ren­tes saveurs des archi­ves du Web, par Valérie SCHAFER
Filant la méta­phore culi­naire, cet arti­cle inter­roge le « chan­ge­ment de régime » qu’entraîne le recours aux archi­ves du Web. Revenant à la fois sur les saveurs qu’elles déga­gent, sur la manière de les servir et de s’en servir, il s’agit avant tout de penser la capa­cité de celles-ci à se marier à ce qui fait le sel de l’his­toire et à com­po­ser des menus ori­gi­naux. Ce par­cours est une invi­ta­tion à penser, à tra­vers notam­ment des retours d’expé­rience sur une période qui va de 2011 à aujourd’hui, mais aussi d’autres réfé­ren­ces his­to­rio­gra­phi­ques, des enjeux tels que les tech­ni­ques de fouille, d’ana­lyse, de par­tage, mais aussi les limi­tes qu’elles ren­contrent.

– Le goût de l’API, par Frédéric CLAVERT
L’émergence des réseaux sociaux numé­ri­ques comme Twitter permet d’accé­der à de nou­vel­les sour­ces. En flux, elles ne sont cap­ta­bles que par l’usage d’une inter­face de pro­gram­ma­tion appli­ca­tive, un dis­po­si­tif infor­ma­ti­que per­met­tant, notam­ment, de mois­son­ner des don­nées. Un projet de recher­che autour des échos du cen­te­naire de la Grande Guerre sur Twitter m’a ainsi fait bas­cu­ler du monde his­to­rien si bien décrit par Arlette Farge vers le monde de l’his­toire par les don­nées et vers une réflexion autour des notions de bri­co­lage et de tem­po­ra­lité.

– Les archi­ves au goût du jour ?, par Véronique SERVAT
Le 14 novem­bre 2018 a eu lieu aux Archives natio­na­les à Pierrefitte-sur-Seine une jour­née d’étude consa­crée au « Goût de l’archive à l’ère numé­ri­que ». Introduite par Françoise Banat-Berger, en tant que direc­trice des Archives natio­na­les, cette jour­née a notam­ment été l’occa­sion d’un échange entre Arlette Farge, his­to­rienne et autrice du Goût de l’archive (1989) et Sean Takats, direc­teur des pro­jets Zotero et Tropy, pro­fes­seur asso­cié à l’uni­ver­sité George Mason. Modérée par Emmanuel Laurentin, cette dis­cus­sion a permis un échange sti­mu­lant autour de l’expé­rience sen­so­rielle et de l’émotion pro­vo­quées par les archi­ves, hier et aujourd’hui.

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