Appel à contributions – Archives et santé : Missions spécifiques et enjeux croisés
La Gazette des archives n°278
Calendrier
Réception des résumés : jeudi 11 décembre 2025
Notification d’acceptation des contributions : Semaine du 5 janvier
Réception des contributions complètes : mi-avril 2026
Temps de reprise des articles après la peer review : période de juillet-août 2026
Publication prévue en novembre 2026
L’histoire de la médecine s’appuie sur des archives diverses : des dossiers et registres d’hôpitaux souvent pluriséculaires, des papiers privés des praticiens et scientifiques, parfois articulées avec des bibliothèques et revues médicales, des collections conservées dans des bocaux de formol ou des moulages en cire. Les archives de la santé ne sont pas seulement des archives hospitalières : cet appel concerne les archives des organismes de recherche (par exemple l’INSERM ou l’Institut Pasteur), les archives de chercheurs sur la médecine ou de facultés de médecine, les archives de médecins (cabinets, Ordre des médecins, Ordre des pharmaciens, etc.), les archives de l’industrie de la santé (pharmaceutique, optique, etc.), les archives d’association de patients, etc. Dans cette énumération non exhaustive, les archives peuvent en effet prendre la forme de lourds registres sériels, de fines fiches de notes cliniques, d’ordonnances de prescriptions, de photographies changeant de supports au fil des décennies, de dossiers patients papiers ou informatisés. Concomitamment à une production de papier croissante dans les administrations au XIXe siècle, y compris les administrations hospitalières, l’administration des archives a rapidement établi les « archives hospitalières » comme une série à part dans les typologies de classement[1].
Après le numéro de 1994 de La Gazette des archives[2] qui dressait un panorama des archives liées au domaine de la santé et pointait l’émergence de la spécificité professionnelle des archivistes en milieu médical, et celui de 2007[3] qui examinait plus précisément le cadre administratif et légal des archives hospitalières, cet appel à articles souhaite aborder des pratiques spécifiques imposées par les archives de la santé, au sein de la profession, des structures médicales et hospitalières, et de la société.
En ce sens, trois axes sont proposés :
– Endosser sa blouse à l’Hôpital
– Les traitements des archives médicales
– Vers une archivistique collaborative
Axe 1 : Endosser sa blouse à l’hôpital
L’archiviste en milieu hospitalier a longtemps été une perle rare. La professionnalisation de la gestion des archives des établissements de santé s’est déroulée sur un temps long[4]. L’enquête d’Ascodocpsy de 2006 évoque une trentaine de services en fonctionnement. La professionnalisation de la fonction intervient dans les années 2000-2010 (Kervegant, 2007). Les premiers services d’archives officiels qui se sont constitués dans les hôpitaux étaient composés principalement de secrétaires médicales ou d’adjoints administratifs dont la mission première était alors d’absorber les volumes de dossiers papier créés et gérés dans les différents services. La centralisation de ces dossiers dans des locaux spécifiques et la nécessité pour les services de soins de les consulter ponctuellement ont induit la mise en place de circuits et de procédures spécifiques. Au fur et à mesure des années, les services se sont structurés, les équipes se sont étoffées et la responsabilité des services a été progressivement déléguée à des archivistes de formation. Avec le développement de l’informatisation, le dossier papier s’est retrouvé à coexister avec un dossier patient informatisé (DPI). Ces transformations ont fait évoluer les missions des services d’archives et des archivistes, qu’ils soient formés à l’université ou sur le terrain, accompagnées de bien d’autres comme la mise en place d’une culture de la qualité. Le rattachement hiérarchique des services d’archives en établissement de santé, souhaité au département de l’information médicale (DIM, 1989)[5], est dans les faits aussi multiple que les missions qui sont maintenant réalisées par un archiviste hospitalier, et qui vont de la gestion des archives médicales à des activités de valorisation en interne et en externe.
La fonction « archives » devient par conséquent une fonction support de l’établissement. Ainsi l’archiviste hospitalier est-il en relation avec les différents acteurs de l’hôpital, personnel soignant comme administratif. Pour autant, l’archiviste en établissement de santé peut se retrouver paradoxalement isolé. Dans ces conditions, la constitution d’un réseau en interne de son institution et en externe s’avère indispensable. Comment constitue-t-il son réseau professionnel ? Comment se redéfinissent ses missions et ses pratiques ?
Cet axe vise donc à brosser le portrait d’un archiviste en milieu hospitalier et à examiner les évolutions du métier. Quel est le parcours des archivistes hospitaliers ? Comment se situer dans un établissement de santé, et au sein d’un DIM ? Quelles sont ses missions en lien avec les activités de l’établissement ? Quels enjeux majeurs et spécifiques sont attachés à ce poste particulier en milieu médical ? En plus d’inviter à des contributions individuelles ou à plusieurs mains apportant des réflexions problématisées sur nos pratiques, cet appel à articles contient un questionnaire anonyme à destination des professionnels : https://forms.gle/5nu4poepNr1rYDG9A.
Axe 2 : Les traitements des archives médicales
Les archives médicales prennent sens au sein de leur structure productrice. Outre les conditions de production, le traitement des archives de la production à la conservation définitive est tout aussi intéressant. Penser le temps long de la conservation suppose de prendre en compte les réorganisations et modifications successives qui viennent constituer de nouveaux dossiers, papiers ou numériques, à l’appui d’autres procédures. Le travail de traitement des fonds, les gestes professionnels inhérents au classement peuvent être élargis aux institutions qui produisent et conservent, y compris les dépôts d’archives (Favier, 2004 ; Anheim, 2019). L’appel concerne la chaîne archivistique dans son ensemble, de la gestion des archives au sein des services producteurs jusqu’à leur conservation pérenne dans les centres d’archives. Il s’agit de réfléchir à l’articulation entre la durée d’utilisation administrative et la durée d’utilisation médicale, aux politiques de collecte territoriales, et aux enjeux de classement des archives définitives de la santé.
Nous invitons ici à des réflexions croisées avec les politiques de collecte et de classement des musées et des bibliothèques[6]. L’appel concerne aussi les collections médicales au sens large tant qu’un lien est fait avec des fonds d’archives : objets, collections anatomiques, livres, objets d’art, architecture hospitalière, centres associatifs, médecine militaire, etc.
Nous souhaitons proposer aux lecteurs de La Gazette des archives un panorama contemporain des archives médicales, présentant les liens entre ces fonds d’archives (ou des collections en relation avec des fonds d’archives) et leurs institutions respectives, l’histoire des différents classements de celles-ci, leur consultation et leurs usages actuels. Cette approche est enfin l’occasion de réfléchir aux échantillonnages, aux éliminations, voire aux non-collectes (Marchandin, 2022).
Enfin, le numéro s’intéresse à la valorisation des archives, de leur contenu et de leur traitement : exposition sur site ou en ligne, émissions ou podcasts, documentaires, séminaires de recherche, performances artistiques et production littéraire, etc. Ces actions de valorisation intéressent le numéro tant qu’elles nourrissent des réflexions collectives et problématisées, par exemple l’intérêt de ces actions pour les publics internes et externes, les enjeux de la médiation de l’histoire de la médecine, etc.
Axe 3 : Vers une archivistique collaborative
Du côté médical, l’approche clinicienne va de pair avec une archivistique hospitalière pour conserver les informations médicales et pouvoir les compiler et réutiliser sur un temps long, par exemple pour les statistiques et l’épidémiologie (Moysan, 2022). Les politiques et luttes pour le droit à la santé supposent aussi des stratégies d’archivage (concernant la lutte contre le SIDA : Vanehuin, 2022).
Les archives de la santé nous concernent effectivement toutes et tous, qu’elles soient sur papier, dématérialisées, hybrides ou nativement numériques. Les perspectives d’une histoire hospitalière et médicale de plus en plus décloisonnée ouvertes par l’émergence des humanités médicales constituent une opportunité croisée pour l’archivistique et la recherche. Les fils tissés entre archivistes et historiens, socio-historiens mais aussi avec des collectifs de patients et des soignants sont féconds pour identifier de nouveaux corpus et souligner l’intérêt de conserver et d’exploiter certaines données. L’émergence du numérique est synonyme d’ouverture et de décloisonnement : les données médicales sont désormais plus facilement partageables dans des espaces collaboratifs (Dohrmann, 2015 ; médecins DIM : Assailly et Thomas, 2024). Quelles pistes doit-on désormais suivre du côté des archives pour conserver ce qui doit l’être dans une démarche réflexive et orientée vers la recherche ? Inversement, comment mieux prendre en compte et mieux présenter (y compris à destination du public) les savoirs archivistiques, les différents traitements opérés sur les archives, et les connaissances professionnelles acquises (Poncet, 2019) ?
Les débats autour de l’accès des données et la généralisation des délégués à la protection des données (DPO) depuis 2018 en lien avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) (Kervegant et Leroy-Frangeul, 2019), donnent lieu à des discussions permettant de réexaminer à nouveaux frais ce que sont les archives médicales. L’archivistique est confrontée à des enjeux éthiques et pratiques, tels que les font surgir les demandes d’accès des particuliers à leur dossier médical ou la satisfaction des demandes du Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP). Des questionnements peuvent également émerger à propos de la conservation de collections médicales telles que les collections de restes humains. Ce numéro est un espace pour développer ces réflexions sur le métier d’archiviste et les liens qu’il entretient avec d’autres espaces scientifiques et de la société civile.
Le numéro adopte un questionnement plus général sur l’éthique et la déontologie associées à la question des données de santé comme données sensibles, pour la recherche et pour les citoyens en attente de réponses ou les chercheurs en procédure de demande de dérogation. À la suite, se pose la question des archives produites par les comités d’éthique : qui les conserve ? Pour quels usages ?
Modalités de contribution et d’évaluation
Il est conseillé aux personnes désireuses de soumettre une contribution dans le cadre de ce dossier de prendre contact au préalable avec deux des coordinatrices du numéro : agathe.meridjen@gmail.com et claire.barille@univ-lille.fr (nous écrire conjointement) en ajoutant redaction_gazette@archivistes.org en copie.
Une première sélection aura lieu à partir des résumés d’une longueur de 3 000 signes indiquant un titre de proposition, le type de contribution (article original, pistes et perspectives, entretien, étude de cas et compte rendu), un ancrage théorique, la méthodologie précise qui sera développée dans le texte et l’axe ou les axes concernés. Ils sont à soumettre par mail à agathe.meridjen@gmail.com et claire.barille@univ-lille.fr (écrire conjointement) en ajoutant redaction_gazette@archivistes.org en copie.
Responsables du numéro thématique
Claire Barillé, maîtresse de conférences en histoire, laboratoire IRHIS, Université de Lille et CAK, École des Hautes Études en Sciences Sociales ;
Émilie Fromont, responsable des archives médicales au centre hospitalier des pays de Morlaix, présidente de la section des Archivistes en Établissement Hospitalier de l’Association des Archivistes Français ;
Rosine Lheureux, conservatrice du patrimoine, directrice des Archives départementales du Val-de-Marne ;
Agathe Meridjen-Manoukian, doctorante à l’Institut des Sciences sociales du Politique, Université Paris Nanterre, et chercheuse associée aux Archives départementales du Val-de-Marne.
Bibliographie
Anheim (Étienne), « Science des archives, science de l’histoire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, n° 74 (3‑4), 2019, p. 507‑520.
Assailly (Laurène), Thomas (Fanny), « Stratégies médicales de mise en (in)visibilité des médecins DIM : Un travail hospitalier en coulisses de la clinique », Revue des sciences sociales, n° 72, 2024, p. 24‑33.
Grailles (Bénédicte), Marcilloux (Patrice), Neveu (Valérie), Sarrazin (Véronique), sous la dir. de, Classer les archives et les bibliothèques : Mise en ordre et raisons classificatoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 244 p.
Dohrmann (Nicolas), « Un projet champardennais de coordination avec l’agence régionale de santé et ses délégations territoriales », La Gazette des archives, n° 237, 2015, p. 109-115.
Favier (Lucie), La mémoire de l’État : histoire des Archives nationales, Paris, Fayard, 2004, 465 p.
Kreplak (Yaël), Potin (Yann), « La vie sociale des dossiers », Genèses, n° 126-1, 2022, p. 5‑10.
Gilliland (Anne), McKemmish (Sue), Lau (Andrew), Research in the Archival Multiverse, Clayton, Vic, Monash University Publishing, 2017, 1064 p.
Jean-Feydel (Sabine), « Une démarche de coopération entre archivistes hospitaliers : le réseau ASCODOCPSY », La Gazette des archives, n° 205, 2007, p. 95-103.
Kervegant (Marie-Laure), 2007. « La fonction « archives » à l’hôpital », La Gazette des archives, n° 205, 2007, p. 43-56.
Kervegant (Marie-Laure), Leroy-Frangeul (Aurélie), « Le dossier du patient : un outil pour la recherche de la vérité ? », La Gazette des archives, n° 255, 2019, p. 241-249.
Marchandin (Pierre), « Identifier les archives que l’on ne collecte pas. L’exemple des archives publiques de l’immigration en Île-de-France », La Gazette des archives, n° 265, 2022, p. 51‑59.
Moysan (Magalie), « Des archives à la base de données : valeur(s) des données en épidémiologie », Histoire, médecine et santé, n° 22, 2022, p. 151‑164.
Poncet (Olivier), « Archives et histoire : dépasser les tournants », Annales. Histoire, Sciences Sociales, n° 74 (3‑4), 2019, p. 713‑743.
Samson (Jade), « Les archivistes hospitaliers au sein des réseaux professionnels. Le cas du réseau documentaire en santé mentale Ascodocpsy de 2004 à nos jours », mémoire de Master 1 Archives, Université d’Angers, 2021, 88 p.
Vanehuin (Morgane), « Les archives de la lutte anti-sida. Témoignage d’une jeune archiviste engagée chez AIDES, association communautaire de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales », La Gazette des archives, n° 265, 2022, p. 157‑166.
[1] Instructions et circulaires de 1841, 1842 et 1854 pour les cadres de classement des archives départementales, communales et hospitalières.
[2] Les archives de la santé (actes de la journée d’études de l’AAF, Paris, 28 janvier 1994). La Gazette des archives, n° 167, 1994.
[3] Journée d’études de l’AAF 200. La Gazette des archives, n°205, 2007-1. Les archives hospitalières : enjeux et pratiques.
[4] Jean-Feydel (Sabine), « Une démarche de coopération entre archivistes hospitaliers : le réseau ASCODOCPSY », La Gazette des archives, n° 205, 2007, p. 100.
[5] Circulaire DH/PMSI n° 303 du 24 juillet 1989 relative à la généralisation du programme de médicalisation des systèmes d’information (P.M.S.I.) et à l’organisation de l’information médicale dans les hôpitaux publics, p. 5.
[6] Voir par exemple l’ouvrage collectif dirigé par Bénédicte Grailles, Patrice Marcilloux, Valérie Neveu et Véronique Sarrazin, Classer les archives et les bibliothèques : Mise en ordre et raisons classificatoires.