En 2011, dans La Gazette des archives, Franck Burckel s’interrogeait sur les évolutions des usages et des publics des archives. En 2012, les rencontres annuelles de la section des archivistes départementaux (Rasad) s’intéressaient aux nouveaux usagers (Nouveaux usages..., 2012). En 2022, le séminaire annuel des Archives de France offrait une Carte blanche « Les publics au cœur de la politique des archives » (Service interministériel des Archives de France – Siaf –, 2022). Plusieurs enquêtes nationales ont été menées, notamment par le Siaf (Guigueno, 2016 ; Observatoire des publics), pour essayer de saisir ces évolutions. Récemment deux programmes de recherche universitaires soutenus par le Siaf ont approché la question du public, l’un intitulé « Les reconfigurations du travail des archives : trajectoires, rapport au travail et légitimités des archivistes face à l’informatisation d’un monde professionnel » (Université de Caen, Moalic-Minnaert et al., 2024), l’autre « Reconfiguration des rapports aux usagers » (Université d’Angers, Reconfigurations..., 2022-2025).
Le numéro thématique souhaite appréhender cette question en envisageant à la fois les représentations que se font les archivistes de leur public, les objectifs qu’ils se fixent en la matière, ainsi que les outils et stratégies conçus en conséquence, imaginés, déployés, parfois généralisés. Comment les services connaissent-ils ou présupposent-ils leur(s) public(s) ? Quels choix font-ils ? Appuyés sur quels fondements archivistiques, quelles représentations et pour quelle politique ? Pensant leur rapport aux usagers principalement en termes de besoins d’information, comment opèrent-ils l’adaptation de leur(s) offre(s) ? Avec quels dispositifs théoriques ou techniques est-il possible d’articuler une adéquation plus efficiente et adaptative de l’offre à la demande ?
Les propositions pourront s’inscrire dans les axes qui suivent et devront concerner les publics externes. Pour l’ensemble de ces axes, des approches comparatives entre public des archives et public d’autres secteurs culturels, entre offres des services d’archives et offres d’autres institutions, sont bienvenues, de même que des études portant sur d’autres pays que la France.
Axe 1 - Publics rêvés, publics constatés
Depuis les années 1960, le public n’a cessé d’être segmenté, stratifié avec un abandon progressif d’une vision globale pour privilégier une approche par la diversité des parcours au risque d’une dispersion (Marcilloux, 2022). Le concept a pu être concurrencé par une appréhension plus administrative de la demande avec le terme d’usager à partir des années 1980, l’usager ne pouvant être réduit à la « clientèle » qui fréquente la salle de lecture ou le site Internet (Peignet, 2001). L’existence de catégories est justifiée par la volonté de mieux identifier des besoins et des attentes spécifiques. Ces catégories n’ont cessé d’évoluer, traduisant ainsi la manière dont la profession se représente son public. Quelles sont les figures du public et de l’usager (Chevallier, 2018) mobilisées ? Avec quelles attentes et quels résultats ? Comment et sous quelles impulsions ces catégories évoluent-elles ? Quelle est leur dimension heuristique ? Au-delà des publics souhaités – ceux que l’on veut faire (re)venir en salle de lecture –, comment appréhende-t-on et avec quels outils les publics constatés ? On pourra ici s’intéresser à la fabrique et diffusion des enquêtes et des statistiques en France ou à l’étranger, à ce qu’en dit la littérature professionnelle (singulièrement les revues d’archivistique). Des études à une échelle réduite (un service, un territoire) ou à l’échelle d’un pays sont aussi attendues.
Axe 2 - D’une logique de l’offre à une logique de la demande ?
La multiplication des enquêtes témoigne d’une volonté de passer d’une logique de l’offre à une logique de la demande. Il s’agit tout à la fois de se mettre à l’écoute des besoins des usagers mais aussi, en les segmentant, d’identifier des besoins particuliers. Dans les deux cas, la démarche induit de passer d’une logique prescriptive au service d’un intérêt général à des propositions adaptées aux comportements observés ou supposés. Cette question se pose d’une manière particulière dans les services d’archives, tant publics que privés, qui doivent répondre à des besoins divers (professionnels, de loisirs, administratifs, culturels, éducatifs…) et à des logiques d’usage variées et peu étudiées (Grailles et al., 2020). Quels sont les dispositifs mis en place pour écouter la parole des usagers ? Comment les services d’archives négocient-ils, entre injonctions des tutelles, effets de mode et besoins objectivés, l’élaboration et la mise en œuvre de politiques à destination du public ? Quels sont les freins et les limites ? Comment gérer la tension entre un public qui cherche une information ponctuelle et un public plus intensif, entre services à la demande et outils d’autonomisation de l’usager (Reconfigurations…, 2022-2025) ? Quel décalage entre les intentions, les stratégies et la réalité de terrain ?
On pourra notamment s’intéresser à la manière dont ces questions sont réfléchies à l’occasion de la mise en place de projets scientifiques, culturels, éducatifs et administratifs de services d’archives, ainsi qu’à toutes les initiatives innovantes dans ce domaine. On pourra également envisager la manière dont les politiques d’offre des services d’archives sont perçues par des communautés d’utilisateurs. En Amérique du nord et dans les pays anglophones, la fonction d’archiviste de référence (reference archivist) est identifiée (Brisson et al., 2022). Est-ce que cette fonction n’aurait pas intérêt à être mieux identifiée au sein des services d’archives ?
Axe 3 - Ajuster les espaces physiques et virtuels, investir le territoire
Depuis une vingtaine d’années, les espaces d’accueil et d’échange avec le public se sont multipliés tant en présentiel qu’en ligne. Les bâtiments se trouvent parfois dotés de salles de lecture pensées selon des modalités et des intensités de fréquentation qui ont évolué. La spécialisation des espaces n’a cessé de s’accentuer. Ils accueillent classiquement des ateliers à destination des scolaires, des conférences ou des expositions, mais une demande existe pour des activités plus informelles, plus étendues ou décalées (« tiers-lieux archivistiques » à définir). Parallèlement de nouveaux espaces d’échange ou de renseignement en ligne émergent : chatbot, chat, espace multicanal (via des logiciels de gestion des relations aux usagers). Quelles articulations et quelles spécialisations pour ces différents espaces ? Quelles compétences pour y répondre ? Quelle réorganisation fonctionnelle pour les services ? La question des salles de lecture virtuelles comme média de diffusion personnalisée, celle de la numérisation à la demande, sont parallèlement à l’ordre du jour. Comment les organiser ? Avec quels objectifs et quelle souplesse dans le périmètre et les réponses ?
Parallèlement d’autres lieux se sont créés hors des services d’archives. Nous laisserons ici de côté l’offre commerciale existante pour nous intéresser aux communautés développées sur facebook ou instagram, mais aussi aux injonctions d’investir le territoire. Quelle place pour les services d’archives et les archivistes dans ces cadres ? Quels collaborations et partenariats hors des murs avec d’autres réseaux (bibliothèques, intercommunalités, tiers-lieux par exemple) ?
Modalités de contribution et d’évaluation
Il est conseillé aux personnes désireuses de soumettre une contribution dans le cadre de ce dossier de prendre contact au préalable avec les coordinateurs du numéro : benedicte.grailles[at]univ-angers.fr ; patrice.marcilloux[at]univ-angers.fr ; brigitte.guigueno[at]culture.gouv.fr ; camille.rouffaud[at]univ-angers.fr
Une première sélection aura lieu à partir des résumés d’une longueur de 3000 signes indiquant un titre de proposition, le type de contribution (article original, pistes et perspectives, entretien, étude de cas et compte rendu), un ancrage théorique, la méthodologie précise qui sera développée dans le texte et l’axe ou les axes concernés.
Les contributions attendues peuvent être de différentes natures :
• Article original (5 000 à 10 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : publication originale présentant un propos argumenté, démontré et étayé par une analyse de la littérature et des sources (archives, enquête...).
• Pistes et perspectives (5 000 à 10 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : article qui peut adopter un ton plus spéculatif et exprimer une réflexion novatrice sur la théorie ou la pratique archivistique.
• Entretien (longueur des entretiens à convenir avec le comité de rédaction) : entretien inédit avec une personnalité, présentant un apport pour la théorie ou la pratique archivistique.
• Étude de cas (4 000 à 7 000 mots hors annexes et notes de bas de page) : retour d’expérience analytique sur un projet ou une activité qui présente un caractère original et apporte une réflexion sur la pratique archivistique.
• Compte rendu (1000 à 2 000 mots hors notes de bas de page) : compte rendu problématisé d’un ouvrage ou d’un événement scientifique qui présente des réflexions archivistiques.
Les propositions de contribution feront l’objet d’une évaluation en double aveugle avec suivi par le comité éditorial de la revue La Gazette des archives.
Responsables du numéro thématique :
Bénédicte Grailles, maîtresse de conférences en archivistique à l’université d’Angers ;
Brigitte Guigueno, adjointe au sous-directeur du pilotage, de la communication et de la valorisation des archives au Service interministériel des Archives de France ;
Patrice Marcilloux, professeur des universités en archivistique à l’université d’Angers ;
Camille Rouffaud, doctorante en archivistique à l’université d’Angers.
Bibliographie
Burckel (Franck), 2011. « Nouveaux usages, nouveaux publics pour les Archives ». L’archiviste dans la cité, La Gazette des archives, n°222, 2011, p. 139-147. DOI : https://doi.org/10.3406/gazar.2011.4820
Brisson (Estelle), Morel (Sophie), Roy (Julie), 2022. « La référence et l’aide aux usagers aux Archives nationales du Québec : regard sur un service en constante évolution », Archives, vol. 50, p. 31-52.
Chevallier (Jacques), 2018. « Les figures de l’usager dans les réformes de modernisation des services publics », Informations sociales, n° 198, p. 48-56.
Couillard (Noémie), Nouvellon (Maylis), 2024. L’avenir de la consultation des archives dans la recherche universitaire, 103 p. [en ligne] ainsi que les résultats de l’enquête, disponible sur https://francearchives.gouv.fr/fr/article/763470835.
Grailles (Bénédicte), Marcilloux (Patrice), 2020. « Pour une archivistique sociale : esquisse d’un bilan de dix ans de recherche en archivistique à l’Université d’Angers », Archives, n° 49, p.37-56.
Guigueno (Brigitte), 2016. « Le public des archives et ses contrastes, au crible de plusieurs enquêtes », Les mutations du métier d’archiviste et de son environnement. Actes du 11e colloque national des archivistes communaux et intercommunaux 2-4 juin 2015 (Limoges), La Gazette des archives, n°244, p. 173-182.
Marcilloux (Patrice). 2022. Le concept de public : en a-t-on encore besoin ? (conclusions de la Carte blanche « Les publics au cœur de la politique des archives », séminaire annuel des Archives de France à Troyes).
Moalic-Minnaert (Maëlle), Marche (Hélène), Rivron (Vassili), Seiller (Pauline), 2024. Une réforme numérique ? Les mutations du travail archivistique dans les services d’archives, 156 p. disponible sur https://francearchives.gouv.fr/fr/article/689545291.
Nouveaux usages, nouveaux usagers : quels contenus, quels services allons-nous offrir ? 2012. La Gazette des archives, n°227.
« Observatoire des publics », Service interministériel des Archives de France, disponible sur https://francearchives.gouv.fr/fr/section/677895574.
Reconfiguration des rapports aux usages [programme de recherche, université d’Angers], 2022-2025, disponible sur https://francearchives.gouv.fr/fr/article/689545690 ainsi que la journée d’étude
Réinventer les relations aux usagers, 2024, disponible sur https://www.youtube.com/channel/UCpxB8dyBriecybNWEZxQInA et la cartographie des services proposés par les archives départementales, disponible sur https://heurist.huma-num.fr/heurist/?db=2RU&website=717.
Peignet (Dominique), 2001. « La bibliothèque entre mutation de l’offre et mutation de la demande », BBF, n° 4, p. 10-17.
Service interministériel des Archives de France, 2022. Carte blanche « Les publics au cœur de la politique des archives », séminaire annuel des Archives de France à Troyes, 28-30 septembre 2022, disponible sur https://francearchives.gouv.fr/fr/article/689164496