Communiqué de presse : des paroles... et des actes

L’association des archivistes français (AAF), Historiennes et historiens du contemporain (H2C) et l’association Josette et Maurice Audin s’inquiètent de l’évolution de l’accès aux archives de la nation

mardi 19 avril 2022
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Paris, le 6 avril 2022,

La loi du 30 juillet 2021 rela­tive à la pré­ven­tion d’actes de ter­ro­risme et au ren­sei­gne­ment a for­te­ment durci les condi­tions d’accès à plu­sieurs caté­go­ries d’archi­ves publi­ques. Certains docu­ments d’archi­ves publi­ques qui deve­naient jusqu’ici libre­ment com­mu­ni­ca­bles après des délais de cin­quante, soixante-quinze ou cent ans peu­vent désor­mais rester blo­qués sans aucune limite de temps autre que celle que les ser­vi­ces admi­nis­tra­tifs dont ces docu­ments pro­cè­dent vou­dront bien rete­nir.

Ce mou­ve­ment de fer­me­ture de l’accès aux archi­ves publi­ques est sans pré­cé­dent en France. S’il concerne avant tout les ser­vi­ces de ren­sei­gne­ments, ce recul inédit a été vive­ment contesté par les his­to­rien­nes et les his­to­riens, les archi­vis­tes et par toutes celles et tous ceux qui fré­quen­tent les ser­vi­ces d’archi­ves. Au-delà de l’his­toire qu’il ne sera plus pos­si­ble d’écrire, tous s’inquiè­tent d’une régres­sion dan­ge­reuse au point de vue démo­cra­ti­que.

Un peu plus de huit mois après l’adop­tion de la loi du 30 juillet 2021, l’heure d’un pre­mier bilan s’impose. Et celui-ci n’est pas bon.

1.- Le pre­mier point d’insa­tis­fac­tion concerne le décret n° 2022-406 du 21 mars 2022 pris en appli­ca­tion de la loi du 30 juillet 2021. Ce décret dési­gne les ser­vi­ces de ren­sei­gne­ments dits « de second cercle » aux­quels le gou­ver­ne­ment étend le pou­voir de refu­ser de com­mu­ni­quer sans aucune limite de temps les docu­ments pro­cé­dant de leurs acti­vi­tés chaque fois qu’ils esti­ment qu’ils révè­lent leurs « pro­cé­du­res opé­ra­tion­nel­les » et leurs « capa­ci­tés tech­ni­ques ».

Le 2 juin 2021, au nom du gou­ver­ne­ment, la minis­tre des armées avait pour­tant pris un enga­ge­ment solen­nel à propos de ce décret à venir. Elle avait publi­que­ment assuré, devant l’Assemblée natio­nale, que la liste des admi­nis­tra­tions aux­quel­les le gou­ver­ne­ment étendrait, au-delà des ser­vi­ces dits de « pre­mier cercle » (DGSI, DGSE, DRM, etc.), la fer­me­ture se limi­te­rait à deux enti­tés seu­le­ment, ainsi dési­gnées : le « ser­vice cen­tral du ren­sei­gne­ment ter­ri­to­rial » du minis­tère de l’Intérieur, d’une part ; la « direc­tion du ren­sei­gne­ment de la pré­fec­ture de police » de Paris, d’autre part.

Rien de tel dans le décret du 21 mars 2022 ! En lieu et place du seul « ser­vice cen­tral du ren­sei­gne­ment ter­ri­to­rial » auquel la minis­tre fai­sait réfé­rence, c’est bien l’ensem­ble des « ser­vi­ces du ren­sei­gne­ment ter­ri­to­rial » qui ont désor­mais le pou­voir de refu­ser de com­mu­ni­quer sans limite de temps les docu­ments d’archi­ves publi­ques entrant dans le champ des nou­vel­les caté­go­ries. Contrairement à ce qu’avait affirmé la minis­tre, les « ser­vi­ces du ren­sei­gne­ment ter­ri­to­rial », qui com­pren­nent de nom­breux ser­vi­ces déconcen­trés, sont ici assi­mi­lés au « ser­vice cen­tral du ren­sei­gne­ment ter­ri­to­rial », qui est un ser­vice minis­té­riel. Cette assi­mi­la­tion juri­di­que­ment fal­la­cieuse conduit à étendre consi­dé­ra­ble­ment le champ de la fer­me­ture : ainsi l’ensem­ble des archi­ves des Renseignements géné­raux (RG) ver­sées dans les ser­vi­ces d’Archives dépar­te­men­ta­les se retrouve, par la grâce de ce décret et contrai­re­ment aux enga­ge­ments gou­ver­ne­men­taux, poten­tiel­le­ment concerné par les nou­veaux délais à durée indé­fi­nie. Faire de l’his­toire poli­ti­que va deve­nir très com­pli­qué tant ces archi­ves sont utiles. Quant à l’his­toire des poli­ti­ques de sécu­rité et des ser­vi­ces, elle sera désor­mais tout sim­ple­ment impos­si­ble à écrire.

2.- Le deuxième point d’insa­tis­fac­tion concerne le champ d’appli­ca­tion des nou­vel­les condi­tions d’accès aux caté­go­ries d’archi­ves publi­ques visées par la loi du 30 juillet 2021. Plus de huit mois après la loi, l’incer­ti­tude est encore com­plète quant au volume exact des docu­ments effec­ti­ve­ment concer­nés par l’allon­ge­ment des délais de com­mu­ni­ca­tion. Alors que, suite à un amen­de­ment du séna­teur Ouzoulias, les ser­vi­ces publics d’archi­ves ont désor­mais l’obli­ga­tion d’iden­ti­fier et d’infor­mer les usa­ger·es, en amont de toute demande de com­mu­ni­ca­tion par­ti­cu­lière, des fonds exacts concer­nés par l’allon­ge­ment des délais de com­mu­ni­ca­tion, il appa­raît à ce jour qu’aucun ser­vice d’archi­ves en France n’est en mesure de satis­faire cette obli­ga­tion posi­tive.

3.- Le troi­sième point d’insa­tis­fac­tion est peut-être le plus grave. Les pre­miers avis de la Commission d’accès aux docu­ments admi­nis­tra­tifs (CADA) fai­sant appli­ca­tion de la loi du 30 juillet 2021 ont été rendus ces der­niè­res semai­nes. Ils se révè­lent désas­treux : la Commission se contente de « pren­dre acte » – ce sont ses pro­pres termes – du choix des admi­nis­tra­tions dont émanent les archi­ves publi­ques dont l’accès est refusé de faire rele­ver ces docu­ments des nou­veaux délais allon­gés. La CADA ne véri­fie d’aucune manière ces inter­pré­ta­tions, y com­pris pour des docu­ments non clas­si­fiés. Elle choi­sit, autre­ment dit, de rendre des avis défa­vo­ra­bles à la com­mu­ni­ca­tion de docu­ments à propos des­quels elle n’a pu opérer aucun contrôle, alors même que sa sai­sine pour avis est obli­ga­toire avant tout recours conten­tieux.

Ce choix de doc­trine trans­forme la fonc­tion même de la CADA : dans des hypo­thè­ses de ce type, elle devient une étape admi­nis­tra­tive inu­tile mais obli­ga­toire. Elle com­plexi­fie encore, de ce fait, l’accès aux archi­ves publi­ques, en même temps qu’elle gêne le droit à un recours effec­tif devant une juri­dic­tion.

***

Un peu plus de huit mois après l’adop­tion de la loi du 30 juillet 2021, les asso­cia­tions qui ont obtenu l’annu­la­tion par le Conseil d’État, le 2 juillet 2021, de dif­fé­ren­tes pra­ti­ques de refus de com­mu­ni­ca­tion d’archi­ves publi­ques se résol­vent à sonner, une nou­velle fois, l’alerte quant à l’évolution inquié­tante des condi­tions d’accès aux docu­ments de la nation, en contra­dic­tion directe avec les dif­fé­ren­tes annon­ces du pré­si­dent de la République sur le sujet.

Cette situa­tion jus­ti­fie plei­ne­ment les efforts de vigi­lance démo­cra­ti­que concer­nant l’accès aux archi­ves publi­ques et le projet en cours de créa­tion d’une asso­cia­tion en ce sens.


CONTACTS

L’asso­cia­tion « Historiennes et his­to­riens du contem­po­rain » : créée en 1969, H2C est une asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle qui regroupe les ensei­gnants-cher­cheurs et les cher­cheurs en his­toire contem­po­raine en poste dans les ins­ti­tu­tions de recher­che et d’ensei­gne­ment supé­rieur fran­çais. Elle défend leurs inté­rêts col­lec­tifs et cons­ti­tue un lieu de réflexion et d’échanges sur les muta­tions du métier d’his­to­rien et la for­ma­tion des étudiants. En tant que société savante, H2C anime la dis­cus­sion scien­ti­fi­que sur l’évolution des maniè­res d’écrire l’his­toire contem­po­raine (1789 à nos jours).
Twitter : @ah­cesr ; @Ar­chi­Ca­De­blo­que

Association des archi­vis­tes fran­çais : l’AAF regroupe près de 2500 mem­bres, pro­fes­sion­nels des archi­ves du sec­teur public comme du sec­teur privé. Elle est un organe per­ma­nent de réflexions, de for­ma­tions et d’ini­tia­ti­ves mis au ser­vice des sour­ces de notre his­toire, celles d’hier comme celles de demain.
Twitter : @Ar­chi­vis­tes_AAF

Association Josette et Maurice Audin : L’Association Josette et Maurice Audin (AJMA) a pour objet d’agir pour faire la clarté sur les cir­cons­tan­ces de la mort de Maurice Audin, assas­siné par l’armée fran­çaise dans le cadre d’un sys­tème de tor­tu­res et de dis­pa­ri­tions for­cées ; d’agir pour l’ouver­ture des archi­ves ayant trait à la guerre d’Algérie et pour la vérité sur les dis­pa­rus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre fran­çai­ses ; de faire vivre la mémoire de Josette et Maurice Audin et de leurs com­bats.
Twitter : @Man­sat

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