14 octobre 2011, Paris

Séance de travail de la LDH sur la « Réutilisation des données publiques »

 
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Les grou­pes de tra­vail « Mémoire, his­toire, archi­ves »
et
« Libertés et tech­no­lo­gies de l’infor­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion » de la Ligue des Droits de l’Homme

orga­ni­sent une séance com­mune de tra­vail

le ven­dredi 14 octo­bre de 18h30 à 20h30

au siège de la LDH, salle Alfred-Dreyfus, 138, rue Marcadet 75018 Paris
(Métro Lamarck-Caulaincourt)

sur la « Réutilisation des don­nées publi­ques »

En pré­sence d’Agnès Dejob, archi­viste et de Jean-Philippe Legois, secré­taire de
l’Association des archi­vis­tes fran­çais.

Des chan­ge­ments règle­men­tai­res sur­ve­nus ces der­niè­res années ont for­te­ment
modi­fié les condi­tions d’uti­li­sa­tion des don­nées publi­ques. Cette ques­tion ne
doit pas être confon­due avec celle des délais d’accès à l’infor­ma­tion publi­que,
régis par le Code du patri­moine, qui ne s’en trou­vent pas chan­gés ; il ne s’agit
pas vrai­ment d’une nou­velle « ouver­ture » des don­nées, mais seu­le­ment de
nou­vel­les pos­si­bi­li­tés offer­tes aux admi­nis­trés de repren­dre les don­nées
acces­si­bles pour les dif­fu­ser de dif­fé­ren­tes maniè­res à leur compte.

À pre­mière vue, la libé­ra­li­sa­tion qui en résulte peut paraî­tre aller dans un
sens d’ouver­ture et de trans­pa­rence. Cette nou­velle situa­tion génère pour­tant un
cer­tain nombre d’effets que l’on peut juger indé­si­ra­bles, en termes d’accès des
admi­nis­trés à une infor­ma­tion publi­que fiable et de pro­tec­tion de la vie privée.
L’exer­cice de cer­tai­nes mis­sions de ser­vice public peut même s’en trou­ver
altéré. Ils méri­tent en tout cas une prise de cons­cience et un débat publics.

 Qualité de l’infor­ma­tion : l’actua­lité récente a montré com­bien il
était facile de pira­ter des infor­ma­tions électroniques ultra confi­den­tiel­les. La
fia­bi­lité des don­nées ne peut être garan­tie que par des métho­des et des
tech­ni­ques très spé­ci­fi­ques de col­lecte, de conser­va­tion et de mise à
dis­po­si­tion : les can­di­dats à la réu­ti­li­sa­tion y sont-ils pré­pa­rés ? La
régle­men­ta­tion impose des règles, mais qui pourra véri­fier qu’elles sont
res­pec­tées ?

 Données per­son­nel­les : il est des infor­ma­tions com­mu­ni­ca­bles en salle
de lec­ture dont le main­tien hors de portée de cer­tai­nes bases de don­nées ou
d’Internet peut sem­bler pré­fé­ra­ble, au nom de la pro­tec­tion des citoyens contre
la mal­veillance et le fichage. On peut, par exem­ple, nuire à une per­sonne en
recueillant des infor­ma­tions sur sa famille, même s’il s’agit de ses ancê­tres.

 Concurrence avec le ser­vice public :

  • marchandisation du patrimoine : de puissantes sociétés privées peuvent
    utiliser commercialement des informations publiques (pour le moment surtout dans
    le créneau de la généalogie, mais d’autres données publiques sont concernées),
    et leurs stratégies marketing pourraient parasiter l’action publique en faisant
    oublier aux administrés qu’un accès gratuit demeure possible auprès des
    administrations ;
  • considérant que le secteur privé s’en charge désormais, des responsables
    publics risquent de négliger les politiques menées actuellement en faveur de la
    diffusion des leur information, par le biais notamment de la numérisation et de
    la mise en ligne de documents ;
  • les redevances perçues égaleront difficilement les énormes budgets de
    numérisation investis ces dernières années sur des fonds publics, numérisation
    dont le résultat va d’ailleurs pouvoir être récupéré et revendu directement.

Chronologie

 2003 : Directive 2003/98/CE du Parlement euro­péen et du Conseil du 17
novem­bre 2003 sur la réu­ti­li­sa­tion des infor­ma­tions du sec­teur public

 2005 : Transposition dans la loi fran­çaise par ordon­nance 2005-650 du
6 juin 2005 et le décret 2005-1755 du 30 décem­bre 2005 ; l’ordon­nance ajoute un
cha­pi­tre à la loi du 17 juillet 1978 d’un cha­pi­tre sur la réu­ti­li­sa­tion des
infor­ma­tions publi­ques.

 2007 : créa­tion (23 avril) de l’Agence du patri­moine imma­té­riel de
l’État (APIE), pour assu­rer une meilleure valo­ri­sa­tion du patri­moine
(réu­ti­li­sa­tion des don­nées publi­ques, bre­vets, mar­ques, loca­tion d’espa­ces pour
mani­fes­ta­tions pri­vées...).

 Fin 2009 - début 2010 : démar­chage des ser­vi­ces publics d’archi­ves par
des socié­tés ; sai­si­nes de la CADA, sanc­tion de plu­sieurs ser­vi­ces.

 22 juin 2010 : lan­ce­ment par le gou­ver­ne­ment, pour favo­ri­ser le
co-inves­tis­se­ment public-privé, du Grand emprunt, avec un volet numé­ri­que (4,4
mil­liards d’euros dont 750 mil­lions pour la numé­ri­sa­tion du patri­moine) ; appel
à pro­jets.

 6 mai 2010 : com­mu­ni­qué de presse de Notrefamille.com annon­çant sa
can­di­da­ture.

 Mai - sep­tem­bre 2010 : réac­tions et péti­tion de grou­pes de
généa­lo­gis­tes, quel­ques échos dans la presse (Marianne, Le Nouvel Observateur),
réac­tions d’asso­cia­tions d’élus (com­mu­ni­qués, ques­tion au sénat...). Juillet :
com­mu­ni­qué de l’Association des archi­vis­tes fran­çais « gare au fichage des
indi­vi­dus ! ». Début de la mise en place de licen­ces par dif­fé­rents ser­vi­ces
d’archi­ves.

Communiqué de presse de l’AAF

La réu­ti­li­sa­tion des don­nées nomi­na­ti­ves ? Gare au fichage des indi­vi­dus !

L’Association des archi­vis­tes fran­çais sou­lève le pro­blème éthique posé et en
appelle au res­pect des liber­tés indi­vi­duel­les.

mardi 6 juillet 2010

Les ser­­vi­­ces publics d’archi­­ves fran­­çais sont sol­­li­­ci­­tés par des
opé­­ra­­teurs pri­­vés qui veu­­lent réu­­ti­­li­­ser, sur leurs sites inter­­net
payants, les infor­­ma­­tions nomi­­na­­ti­­ves conte­­nues dans les docu­­ments
d’archi­­ves publi­­ques et sur­­tout les vues numé­­ri­­ques de ces docu­­ments. Ces
ser­­vi­­ces, qui ont pour mis­­sion de col­­lec­­ter les archi­­ves auprès des
admi­­nis­­tra­­tions, de les inven­­to­­rier et de les res­­ti­­tuer au citoyen dans
un cadre légal, com­­mu­­ni­­quent en effet, sur place et sur leurs sites
inter­­net, des archi­­ves numé­­ri­­sées inté­­res­­sant la généa­­lo­­gie issues de
mas­­si­­ves cam­­pa­­gnes de numé­­ri­­sa­­tion. Grâce à l’inves­­tis­­se­­ment
finan­­cier et humain des conseils géné­­raux et de l’État, une soixan­­taine de
dépar­­te­­ments pro­­pose aujourd’hui en ligne cha­­cun en moyenne 1,5 mil­­lion de
pages numé­­ri­­sées et plus de 90% d’entre eux le font gra­­tui­­te­­ment, dans une
pers­­pec­­tive de démo­­cra­­ti­­sa­­tion cultu­­relle. Il s’agit d’ima­­ges fixes, non
indexées, selon les recom­­man­­da­­tions de la Commission natio­­nale Informatique
et Libertés, et sans pos­­si­­bi­­lité de croi­­se­­ment des don­­nées, mais
per­­met­­tant la consul­­ta­­tion et la recher­­che.

Une société de généa­­lo­­gie com­­mer­­ciale vient de met­­tre en demeure les
Départements de lui four­­nir les fichiers numé­­ri­­ques des recen­­se­­ments de
popu­­la­­tion, des regis­­tres parois­­siaux et d’état civil et des regis­­tres
matri­­cu­­les mili­­tai­­res, des ori­­gi­­nes jusqu’aux années 1930, et les a
aver­­tis, par cour­­rier, que sa demande s’élargirait à tous les docu­­ments
nomi­­na­­tifs à fort contenu généa­­lo­­gi­­que poten­­tiel : regis­­tres d’écrou des
pri­­sons, lis­­tes électorales, lis­­tes d’étrangers et de réfu­­giés des XIXe et
XXe siè­­cles ; car­­tes d’ancien com­­bat­­tant 1914-1918 avec pho­­to­­gra­­phie ;
car­­tes d’iden­­tité de 1940, avec pho­­to­­gra­­phie ; regis­­tres d’entrée des
hôpi­­taux, notam­­ment psy­­chia­­tri­­ques ; fichiers de camps d’inter­­ne­­ment et
de dépor­­ta­­tion liés à la guerre 1939-1945, fichiers juifs ...

Le pro­­jet affi­­ché par cette société est de cons­­ti­­tuer la plus grande base
nomi­­na­­tive jamais réa­­li­­sée sur l’ensem­­ble de la popu­­la­­tion fran­­çaise
jusqu’au début du XXe siè­­cle, com­­por­­tant plu­­sieurs cen­­tai­­nes de mil­­lions
de don­­nées, indexées (patro­­ny­­mes et autres infor­­ma­­tions dis­­po­­ni­­bles) et
reliées aux ima­­ges cor­­res­­pon­­dan­­tes, sous des aspects qui tou­­chent non
seu­­le­­ment l’iden­­tité, mais aussi le domaine médi­­cal, pénal, fis­­cal,
judi­­ciaire... Pour les seuls actes d’état civil, cette base concer­­ne­­rait plus
d’un mil­­liard d’indi­­vi­­dus, dont des per­­son­­nes évidemment encore vivan­­tes.
Sur la base de docu­­ments cer­­tes com­­mu­­ni­­ca­­bles de plein droit au regard de
la loi, ce pro­­jet, par sa cou­­ver­­ture géo­­gra­­phi­­que natio­­nale et par ses
carac­­té­­ris­­ti­­ques tech­­no­­lo­­gi­­ques (indexa­­tion patro­­ny­­mi­­que
sys­­té­­ma­­ti­­que, rap­­pro­­che­­ment des don­­nées, entre­­croi­­se­­ment de
fichiers), abou­­tit à ficher toute la popu­­la­­tion fran­­çaise, en exploi­­tant
des don­­nées nomi­­na­­ti­­ves d’un grand poids juri­­di­­que.

Si la concen­­tra­­tion des don­­nées publi­­ques nomi­­na­­ti­­ves et leur indexa­­tion
sont auto­­ri­­sées, il sera pos­­si­­ble à terme, en payant un abon­­ne­­ment et à
par­­tir d’un nom tapé dans un moteur de recher­­che, de connaî­­tre les
per­­son­­nes ayant porté ou por­­tant encore ce nom et ayant connu, soit
elles-mêmes, soit leurs ascen­­dants directs, des ennuis judi­­ciai­­res, des
mala­­dies men­­ta­­les, des par­­cours sociaux ou poli­­ti­­ques pou­­vant leur être
oppo­­sés... Le pro­­fil fami­­lial d’un citoyen pourra ainsi être recons­­ti­­tué et
rendu acces­­si­­ble à tous dans tou­­tes ses facet­­tes (ren­­sei­­gne­­ments
médi­­caux, don­­nées liées à la sexua­­lité, ins­­ta­­bi­­li­­tés matri­­mo­­nia­­les,
inter­­ne­­ments psy­­chia­­tri­­ques, incar­­cé­­ra­­tions, posi­­tions
mili­­tai­­res...). Qu’en fera un employeur sol­­li­­cité par un can­­di­­dat à un
emploi ? Qu’en fera un ban­­quier ou un assu­­reur face à la demande de prêt
immo­­bi­­lier d’un par­­ti­­cu­­lier ? Qu’en fera un indi­­vidu tenté par
l’usur­­pa­­tion d’iden­­tité ? Un jaloux, un rival évincé ?

Les col­­lec­­ti­­vi­­tés ter­­ri­­to­­ria­­les refu­­sent de por­­ter la
res­­pon­­sa­­bi­­lité d’un trans­­fert des don­­nées nomi­­na­­ti­­ves sen­­si­­bles dont
elles sont res­­pon­­sa­­bles à des socié­­tés pri­­vées qui en feront un usage
incontrôlé et sus­­cep­­ti­­ble de tous les détour­­ne­­ments, de façon volon­­taire
ou non (la revente à des orga­­nis­­mes tiers des don­­nées col­­lec­­tées est
expli­­ci­­te­­ment envi­­sa­­gée par ces socié­­tés pri­­vées). Aussi cer­­tai­­nes
d’entre elles ont-elles déjà saisi la Commission natio­­nale Informatique et
Libertés et la Commission d’accès aux docu­­ments admi­­nis­­tra­­tifs.

Comment faire abs­­trac­­tion du ris­­que direct de concen­­tra­­tion, à visée
com­­mer­­ciale ou sécu­­ri­­taire, par un ou plu­­sieurs opé­­ra­­teurs pri­­vés de
mil­­liards de don­­nées publi­­ques nomi­­na­­ti­­ves, croi­­sées, inter­­connec­­tées
et indexées ? Comment garan­­tir le res­­pect des prin­­ci­­pes de pro­­tec­­tion de
l’indi­­vidu atta­­chés au droit fran­­çais, si tel opé­­ra­­teur choi­­sis­­sait ou se
voyait contraint, du fait de son rachat par une société étrangère par exem­­ple,
de céder à un tiers les vues numé­­ri­­ques acqui­­ses et toute la base de don­­nées
asso­­ciée ? Comment pré­­mu­­nir, enfin, ces don­­nées publi­­ques, indi­­vi­­duel­­les
et sen­­si­­bles de la cons­­ti­­tu­­tion de pro­­fils d’inter­­nau­­tes par des
opé­­ra­­teurs pri­­vés, qui pro­­fi­­te­­raient d’acti­­vi­­tés généa­­lo­­gi­­ques,
d’achats en ligne ou de par­­ti­­ci­­pa­­tions aux forums qu’ils pro­­po­­sent sur
leurs sites, à des fins de mar­­ke­­ting, de com­­merce électronique ciblé ou de
pro­­fi­­lage sécu­­ri­­taire ?

L’évolution des tech­­no­­lo­­gies de l’infor­­ma­­tion et de la com­­mu­­ni­­ca­­tion
éclaire d’un jour nou­­veau les deman­­des de réu­­ti­­li­­sa­­tion de cer­­tai­­nes
don­­nées nomi­­na­­ti­­ves et a fait naî­­tre un ris­­que évident d’atteinte aux
liber­­tés indi­­vi­­duel­­les. Elle rend aujourd’hui pos­­si­­ble des usa­­ges non
confor­­mes à la volonté du légis­­la­­teur.

Mobilisée par l’enjeu éthique de ces deman­­des, l’Association des archi­­vis­­tes
fran­­çais vient de sai­­sir le minis­­tère de la Culture et de la Communication,
la Commission d’accès aux docu­­ments admi­­nis­­tra­­tifs et la Commission
natio­­nale Informatique et Libertés. Elle veut voir affir­­mée la por­­tée de
l’excep­­tion cultu­­relle au champ des archi­­ves publi­­ques et faire pré­­va­­loir,
au nom de l’inté­­rêt géné­­ral, face aux tex­­tes enca­­drant la réu­­ti­­li­­sa­­tion
des don­­nées publi­­ques, des limi­­tes légi­­ti­­mes à la réu­­ti­­li­­sa­­tion des
don­­nées à carac­­tère per­­son­­nel, sen­­si­­bles par leur contenu ou par leur
agglo­­mé­­ra­­tion. Il en va de l’appli­­ca­­tion d’une poli­­ti­­que sur les
archi­­ves démo­­cra­­ti­­que, équitable et cohé­­rente à l’échelle du ter­­ri­­toire
natio­­nal.

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